- AFRIQUE (La statuaire en céramique)
- AFRIQUE (La statuaire en céramique)La statuaire d’Afrique noire évoque immédiatement l’art du bois, matériau dont la précarité même sied aux hommes qui cherchent moins à affirmer la pérennité de leurs œuvres que l’efficacité de leurs gestes. Par son intermédiaire, la plupart des peuples africains ont exprimé à la fois la richesse et la vitalité de leurs cultures. Ceux qui lui ont préféré le bloc d’argile à modeler sont moins nombreux, et les images qu’ils produisent, immobiles et figées, sont porteuses d’un autre message. Autant le bois est véhicule du devenir, autant la terre cuite est inerte, et dans sa fixité ce sont les valeurs des hommes hors du temps qu’elle cherche à retenir.L’art des représentations de céramique appartient essentiellement au passé, et, quand il survit aujourd’hui dans quelques îlots privilégiés, c’est à travers les fragiles images des rites initiatiques ou les pièces miniaturisées d’ateliers enfantins. Art de civilisations éteintes, ses témoins réapparaissent au hasard de mises au jour fortuites ou, depuis quelques décennies, au cours de travaux archéologiques. D’où, dans le premier cas, leur dispersion et, dans le second, leur concentration dans les zones choisies comme lieux d’exploitation méthodique. D’où également le déséquilibre de nos données et leur fractionnement.Éparpillées dans l’espace, les pièces sont le plus souvent mal situées dans le temps. Si le procédé du carbone 14 a pu, dans certains cas, donner des renseignements incomparables, il ne faut pas oublier que les dates qu’il propose sont d’autant plus floues qu’elles sont plus proches de nous. Dans un pays sans textes écrits et sans archives, un précieux auxiliaire de l’historien est la tradition orale. Mais, pour la mémoire populaire, les hommes d’hier, auxquels sont attribués les témoins d’argile, appartiennent bien souvent au temps des origines où ancêtres et héros légendaires sont confondus. En maintes régions aussi, les peuples ont été brassés, et la figurine qui apparaît sous la houe du cultivateur appartient pour lui à un monde étranger.Nous sommes en présence d’un art qui, en dépit de la diversité de ses productions et des styles propres à chaque peuple plutôt qu’à chaque âge, frappe par la récurrence des thèmes, la permanence de certaines règles et la parenté qui unit entre elles les œuvres les plus lointaines. Cela tient, semblet-il, à ce que cette statuaire est soit liée à des rituels, soit ludique (figurines pour enfants), soit très populaire (figurines vendues sur les marchés). Non pas qu’il ne puisse exister de grands artistes, mais les objets qu’ils créent sont moins faits pour être admirés que pour être signifiants. Ils s’inscrivent dans des systèmes de croyances qui imposent des modèles et réglementent les modes d’expression. Chaque représentation trouve sa place dans un rituel; associées à des cultes publics, les sculptures étaient réunies dans de vastes sanctuaires. Après les avoir parées, couronnées de plumes, fardées d’ocre ou de kaolin, on leur adressait des offrandes et elles étaient rougies du sang des sacrifices. Liées à des cultes privés, suspendues à une ceinture ou à un collier, elles avaient des vertus curatives; enterrées dans un seuil, elles protégeaient le foyer. Images des défunts, elles étaient honorées sur l’autel des ancêtres ou prenaient place, avec les figurations des générations antérieures, dans le grenier familial.On connaît de telles céramiques anthropomorphes ou zoomorphes, à destinations très diverses, du sud de la Mauritanie (Soninké) au cœur du Zaïre (Mangbetou) et jusqu’au cœur de l’Afrique orientale (Azandé); on en connaît également dans les sociétés pastorales du Sud-Est (Mapungubwe) et jusqu’à Lydenburg où certaines, superbes, datent du VIe siècle. Les zones de découverte les plus riches en objets – hélas le plus souvent arrachés au sol sans fouilles, parfois par pillages organisés – appartiennent au Delta Intérieur du Niger, à la vallée nigérienne de ce fleuve, à Nok, à Ifé et Owo ainsi qu’à d’autres sites, exploités depuis 1980, du Nigeria et du Ghana (Komaland). Souvent liées à des inhumations, ces céramiques peuvent aussi être utilitaires.La statuaire ancienneLes pièces les plus anciennes connues à ce jour proviennent des sites néolithiques de la vallée du Tilemsi (Mali) et de la région d’Agadès (Niger), qui datent des IIIe et IIe millénaires avant notre ère, mais ces représentations animales et humaines, souvent phallomorphes, sont peu élaborées.La culture de NokIl faut attendre le VIIe siècle avant J.-C. pour que se développe un véritable centre d’art. Situé sur le plateau du Bauchi (Nigeria septentrional), il prospère jusqu’au IVe siècle de notre ère autour de l’actuel centre minier de Nok, où fut mis au jour un ensemble de figurines et de statues unique en Afrique. Cette collection compte plus d’une centaine de pièces marquées d’une certaine unité stylistique, traduisant un art à la fois réaliste et géométrique toujours empreint d’une extrême sensibilité. Une série de visages d’argile, dont certains sont plus grands que nature, ce qui est exceptionnel dans la céramique africaine, palpitent sous la rigidité apparente de leurs traits, et leur expression change suivant l’angle observé. La plupart d’entre eux appartiennent à des statues dont les fragments, nombreux, sont ornés à profusion de bracelets, de colliers, de ceintures et d’ornements de cheville. Les corps prennent parfois des attitudes acrobatiques dont la souplesse évoque celles des Apsaras. La faune et la flore sont également traitées avec une attachante habileté. Tout cet ensemble témoigne d’une longue tradition.La civilisation saoCinq cents kilomètres plus à l’est, les riverains des basses vallées du Chari et du Logone commençaient, à la même époque, à façonner dans l’argile des représentations animales; mais c’est seulement au Xe siècle de notre ère qu’apparaissent les premières figurines humaines. Dans la plaine tchadienne au sens large, plus de sept cents établissements anciens ont été inventoriés. À partir du Ve siècle avant notre ère, s’y sont succédé des peuples qui, jusqu’à l’arrivée de l’islam (XVIe-XVIIIe s.), ont modelé dans le limon de leurs fleuves toutes sortes d’objets profanes et sacrés.La statuaire, qui compte plus de trois mille pièces, s’inscrit dans un immense ensemble où sont rassemblées des représentations limitées à la tête, des figurines et des statuettes, humaines et animales. Cet ensemble, marqué d’une profonde unité plastique, présente un aspect multiforme de l’art des Noirs; il pose d’immenses problèmes d’attribution et de chronologie. Tous ces objets sont caractérisés par leurs petites dimensions (de 2 à 35 cm de hauteur), des formes stylisées, une symbolisation des traits qui obéit à des canons rigides sans exclure une grande finesse d’expression.Les habitants actuels de la région attribuent indistinctement tous ces témoins aux «hommes d’autrefois», appelés collectivement Sao, terme qui fut retenu par les archéologues bien que, sans nul doute, il recouvre des peuples très différents. Mais l’arrivée des uns n’entraîne jamais la disparition des autres, et les apports successifs se fondent sans que puisse être déterminée avec exactitude la part de chacun. Rares dans les couches profondes, les pièces se multiplient au niveau moyen pour décroître à nouveau aux époques récentes; en majorité, les pièces se situent entre le XIIe et le XVIe siècle.Les représentations humaines limitées à la tête sont les plus nombreuses. En forme de galet, de cylindre ou de cône, souvent munies de cornes et comportant un conduit transversal pour permettre la suspension, elles revêtent les expressions les plus diverses. La technique utilisée détermine pour une large part leur aspect esthétique. L’artiste façonne un support géométrique et, sur une de ses faces, dispose les éléments du visage, qu’il incise dans la masse ou rapporte sous forme de pastilles, de boudins ou de boulettes. Ce procédé permet la création de modèles sans cesse renouvelés.Les statuettes en pied, à l’exception d’une seule, campée sur deux jambes courtes, se dressent sur un socle massif, sans indication de membres inférieurs. La manière souvent baroque selon laquelle la tête est modelée s’oppose à la simplicité formelle du corps. Une série caractérisée par la finesse de l’argile, la qualité de la cuisson et la délicatesse des traits représente des personnages aux coiffures compliquées et richement parés. Elle contraste avec un autre ensemble, beaucoup plus fruste, qui figure des hommes masqués. Des têtes de bovidés, de béliers, ou des hures monstrueuses écrasent des corps disproportionnés, mal dégrossis, d’où se détachent des bras en moignons.Les figurines animales comptent surtout des représentations d’animaux sauvages et aquatiques, porcs-épics, lourds hippopotames, poissons et tortues.La culture d’IféQuatre siècles environ séparent la plus ancienne occupation d’Ifé, foyer d’art le plus prestigieux d’Afrique noire, de la fin de la culture de Nok à laquelle se rattachent vraisemblablement ses origines. Ville sainte de près de six millions de Yorouba, Ifé est encore aujourd’hui le siège de leur chef spirituel, l’Oni , descendant du démiurge qui, selon la tradition, à l’origine des temps, dans ce lieu privilégié, fit émerger la terre des eaux primordiales.De cette cité, Frobenius rapporta, en 1910, des têtes grandeur nature de terre cuite et de bronze qui bouleversèrent toutes les notions antérieures. Leur perfection technique et surtout leur classicisme firent émettre les opinions les plus fantaisistes sur leur origine. Depuis lors, cette collection s’est considérablement augmentée, et l’authenticité des pièces n’est plus mise en doute: ce sont des œuvres africaines qui se rattachent nettement à des types africains.Les centaines de représentations rassemblées dans le musée de la ville montrent la diversité des sujets traités, des techniques et des styles. Bien que les datations soient encore provisoires, le plein épanouissement de cet art se situerait entre le XIIe et le XIVe siècle. À partir du XVIe, il se dissout lentement jusqu’aux productions du XIXe siècle, grossières caricatures des œuvres antérieures.Les représentations humaines de la période classique comptent une série de portraits idéalisés d’hommes et de femmes éclairés par une expression à la fois grave et charnelle, d’une grâce extrême. On a pu identifier des personnages royaux, dont la somptuosité contraste avec le dépouillement des images des serviteurs qui les accompagnent. Un même talent est appliqué à des portraits de vieillards et de contrefaits d’un réalisme cruel, ainsi qu’à des œuvres d’imagination telles que des monstres aux yeux exorbités, aux narines palpitantes d’où jaillissent des serpents. Parfois, le naturalisme est complètement abandonné pour des figurations déroutantes, complètement abstraites.L’art animalier est riche et vivant. Les pièces les plus remarquables sont un hibou, un caméléon perché sur un socle sphérique, un singe anthropomorphe et de nombreux trophées ou pièces sacrificielles; des têtes de béliers, de chiens, celle d’un éléphant somptueusement couronné, toutes reposant sur des plats, constituent une collection de simulacres d’offrandes tout à fait exceptionnelle.À la période postclassique, les traits du visage perdent leur sensibilité, les lèvres deviennent horizontales, les yeux se font saillants, volumes et formes se raidissent.Le delta intérieur du NigerEntre le Xe et le XVIIe siècle, cette région fut aussi, vraisemblablement, un centre d’art privilégié dans la fabrication des statuettes humaines. Ce sont des figurations de petites dimensions (60 cm de hauteur au maximum), modelées dans une argile souvent très fine, bien cuite, et recouverte d’un bel engobe rose ou brun, associées à un matériel funéraire. Les représentations de personnages assis ou agenouillés, parfois assemblés deux à deux, dans une attitude hiératique caractérisent le style de Djenné. Dans les tumuli de la région de Mopti, ce type voisine avec des pièces de facture grossière et géométrique qui rappelent les «danseurs masqués» de la vallée du Chari. Une figurine isolée, provenant du pays dogon, leur est directement apparentée.Le Ghana et la basse Côte-d’IvoireDans le nord du Ghana, la découverte d’une importante statuaire (XIIe-XVe s.), dans le Komaland, n’a pas encore donné lieu aux publications scientifiques espérées. Dans l’ancien royaume des Ashanti et celui de leurs voisins, les Agni, s’est développée, à partir du XVIIe siècle, une statuaire funéraire particulièrement émouvante. De nombreuses petites figurines au visage lunaire sur un corps cyclindrique étaient, jusqu’à une date récente, déposées sur les tombes; mais ce sont surtout des têtes et les statues de Krinjabo, du nom de l’ancienne capitale agni, qui retiennent l’attention. Véritables portraits des défunts, elles offrent une qualité d’expression qui rappelle l’art d’Ifé. On a retrouvé des têtes comparables chez les Éotilé.Le Sud-Est africainLes nombreux sites de l’âge du fer situés entre la vallée du Zambèze et le sud de celle du Limpopo ont livré plusieurs centaines de petites figurines très stylisées, souvent en forme de phallus, datées de différentes époques: VIe et Xe siècles à Zimbabwe, XIIIe à Mapungubwe et XVe à Khami.Aux pièces de ces différents foyers d’art, il convient d’ajouter les trouvailles fortuites qui laissent présager la richesse que recèle encore le sol africain: une petite tête bassari (Guinée) dont le modelé sensible fait penser à l’art agni, une statuette bamoum (Cameroun), datée du XVe siècle, assez proche des représentations sao, la figurine de Kinshasa (Zaïre), associée à un outillage lithique, et les trouvailles de Louzira et d’Entebbe (Ouganda) qui ne peuvent se rattacher à aucune culture connue dans ces régions.La statuaire contemporaineL’islam, dans toute l’Afrique du Sahel, a tué l’art des représentations humaines et animales; ailleurs, cette iconoclastie fut le fait des missionnaires européens. Pourtant, dans toute la savane, à la saison des pluies, les jeunes garçons miniaturisent dans la glaise le cheptel de leurs pères comme le faisaient leurs lointains ancêtres de la vallée du Tilemsi. Sur le plateau du Bauchi, les Dakakari et les Djaba perpétuent maladroitement les gestes des artistes de Nok, comme les Fali du Nord-Cameroun s’inspirent des modèles sao. Au Mali, les Dogon honorent encore les images des hommes d’autrefois modelées dans l’argile. Au Ghana, dans la région de Nzima, sont rassemblées sur les autels villageois des figurations (azungu ) qui sont censées représenter certains éléments constitutifs de la personne humaine. Et l’on ne saurait passer sous silence toutes les «poupées» dites de fertilité, ni les représentations confectionnées lors des naissances, des mariages ou des rites de puberté dans des régions très dispersées. Les collections les plus variées et les plus attachantes proviennent de l’Est et du Sud-Est africain, et leur intérêt est d’autant plus grand qu’elles ont de nombreux points communs avec les objets de fouilles. Chez les Bemba de Zambie, les figurines dites mbusa symbolisent les différents aspects du mariage; supports des fonctions procréatrices du couple, elles peuvent reproduire n’importe quel trait de la vie conjugale, et leur possession est considérée comme efficace. Les jeunes femmes tsonga, lemba et venda modèlent également des images de glaise, véhicules de symboles liés à la fécondité. En Tanzanie, ce sont des centaines de petites statuettes souvent maladroites qui illustrent l’enseignement des prêtres aux adolescents; chacune est à l’image d’une qualité, d’un sentiment ou d’un trait de caractère et possède un chant didactique qui lui est propre.Cet art populaire, inconnu des voyageurs étrangers, est encore particulièrement vivant, infiniment plus authentique que les décevants essais entrepris par quelques ateliers d’inspiration occidentale; il illustre de façon saisissante la richesse d’expression des croyances ancestrales.
Encyclopédie Universelle. 2012.